lundi 27 mai 2024

Texte définitif, revu et corrigé

 

Jeux dangereux

 

Scène 1.

(La chambre d’Aymard.  Sonnerie brutale d’un vieux réveil mécanique !)

 

 Aymard :

Je déteste ce réveil qui me surprend à chaque fois !  Pourquoi je n’ai pas une radio comme toi ?

Wendy : (chantonnant sur la chanson)

Tu ne l’entendrais pas !  Tu te couches toujours trop tard…

Aymard :

Pas toi peut-être ?

Wendy :

Mais je m’endors tout de suite, moi…

Aymard :

C’est la nuit que je recueille le plus d’insectes pour mes crapauds et mes araignées !

Wendy :

Grâce au drap blanc que tu as tendu devant un spot dans le jardin, je sais.  C’est moche ce drap plein de bestioles et de papillons de nuit…

Aymard :

On file sous la douche ?  La totoche  va bientôt débarquer…

Wendy :

…et seriner pour la sempiternelle fois avec son accent portugais que « la hora » du petit-déjeuner est sacrée !

Aymard :

Aujourd’hui, elle aura raison de hurler.  Cette nuit, j’ai pissé dans la bouilloire de son Darjeeling « bio » et j’ai mis le bocal de mouches pour mes araignées dans le frigo !

Wendy :

Bof !  Tu as fait bien pire…

Aymard :

Je n’étais pas inspiré puisque tu dormais !

Wendy :

Allez, la douche en vitesse, j’ai froid ! (Ils filent sous la douche)

Isabella :

(criant off avec un accent portugais)

C’est la hora du petit-déjeuner ! 

Aymard :

Ouais, ouais, on se sèche et on descend !

Isabella :

(criant off):

Vous êtes encore en retard, comme d’habitude !

Wendy :

Je dois faire mes cheveux !

Isabella :

(criant toujours off):

Mouiller les cheveux tous les jours, c’est pas bon !

Wendy :

Elle ferait bien de les « mouiller » un peu, ses cheveux si gras que je parie qu’elle ne peut même plus les peigner sans déranger des hordes de poux !  Tiens, voilà où tu peux chercher de la bouffe pour tes bestioles…

Aymard :

Beurk !  Mes bestioles ne mangent pas de la crasse !

Wendy :

Je suis prête, on descend ?

Aymard :

À l’attaque !

 

Scène 2.

(à la table du petit-déjeuner)

 

Aymard :

Mon oncle ne vous a pas dit que vous n’êtes qu’une boniche à notre service ?

Isabella :

Je travaille pour Monsieur de Boëldieu, votre oncle, et je suis là pour vous éviter d’être placés parce que vous avez perdu vos parents !

Aymard :

BONICHE !

Isabella :

Vous êtes très méchant, Monsieur Aymard…

Wendy :

Vous n’avez pas le droit de nous juger, Mademoiselle la boniche !  Boniche ! Boniche !

Isabella :

Je vais devoir informer votre oncle de ce qui se passe ici.  J’ai libéré vos mouches  dans le jardin et j’ai bien senti que vous aviez uriné dans ma bouilloire…

Aymard :

Il avait donc bon goût, votre thé « bio » ?

Isabella :

J’ai lavé ma théière avant de le faire, Monsieur Aymard !

Aymard :

Dommage !  J’aurais voulu voir votre tête !

Wendy :

Et vous étrangler !  Vous ne serez pas la première qu’on a réussi à faire fuir !

Isabella :

Votre oncle m’avait prévenue que vous étiez… difficiles parfois !  J’ai travaillé dix ans dans un centre pénitentiaire avant d’être embauchée chez vous…

Wendy :

Déjà souffre-douleur ?  C’est votre vocation, on dirait.

Isabella :

J’ai toujours rempli correctement ma mission.  Vous pouvez en être sûrs !

Aymard :

Alors, c’est la guerre ouverte ?

Isabella :

La « boniche » n’a jamais plié devant de jeunes « présomptueux » !

 

Scène 3.

Isabella s’est retirée.

 

Wendy :

On va s’amuser avec celle-ci !

Aymard :

Plus qu’avec les autres, c’est évident !

Wendy :

Je pense à son mainate…  Cette salle bête qui répète tout ce qu’elle entend !

Aymard :

Bonne idée.  Tu as encore cette grande poupée en plastique ?

Wendy :

Au grenier, oui !  Tu vas refaire le coup du chat de la gouvernante précédente ?

Aymard :

Oui, son mainate a vécu !

Wendy :

L’enfermer dans la poupée en ne laissant passer que la tête dans le trou à la place du sexe…

Aymard :

Il va s’ouvrir la gorge en se débattant.  Ça a bien marché avec le chat, non ?

Wendy :

Oui !  C’était trop rapide à mon goût…

Aymard :

Vrai !  Comment faire durer le plaisir ?

 

Scène 4.

(Jardin, au retour du collège)

 

Aymard :       

Content d’être rentrés à la maison…

Wendy :

Tu parles d’une journée de merde !

Aymard :

Deux interros surprises et un cross minuté dans le parc du collège !

Wendy :

Oh la là ! La totoche nous attend !

Aymard :

Avec son mainate crevé !

Wendy :

La voiture de l’oncle est devant le perron… Va y avoir du grabuge ! 

Aymard :

Bof !  C’est avec notre fric qu’il vit !  Il n’a pas intérêt à trop nous embêter.  Il va juste un peu nous engueuler devant la potiche, pour la calmer…

Wendy :

Puis, il va nous sortir sa flûte traversière et jouer son sempiternel adagio d’Albinoni en espérant nous mettre tous sur la même longueur d’onde.  Cool !

Aymard :

Je me demande parfois s’il croit lui-même à cette connerie !

Wendy :

Si ça lui fait plaisir…

Aymard :

J’ai une idée !  Avec un peu de chance, on va rire !  Sa flûte est toujours dans la voiture ?

Wendy :

Non ! Ne touche pas à la flûte.  Tu ne sais pas comment il réagira.  Les gentils peuvent être très colériques !  S’il ne veut plus être notre tuteur, je ne pourrais pas vivre séparée de toi.  Nous morfondre dans des familles d’accueil différentes, merci !

Aymard :

On est veinard de t’avoir comme protectrice…

Wendy :

Attention !  Ils viennent vers nous…

 

Scène 5.

(Sur le perron)

 

L’oncle :

Mes enfants !  Vous êtes incorrigibles !  La pauvre bête !  Mourir exsangue, c’est affreux !  Mais que vous est-il passé par la tête ?

Wendy :

On n’a pas imaginé que cela se terminerait comme ça, je vous l’assure, mon oncle…

L’oncle :

Je veux bien le croire, cela aurait été monstrueux !  Vous voyez, Mademoiselle da Silva, ce n’est qu’un malheureux accident.  Nous remplacerons votre mainate.  Allons mes enfants, excusez-vous et passons au salon.  Aymard, veux-tu aller chercher mon instrument dans la voiture ?  Un peu de musique apaisera ce regrettable incident…

Wendy :

(chuchotant)

Sans le trafiquer, s’il te plait !

Aymard :

(chuchotant aussi)

Un petit ver de terre dans l’embouchure ?

Wendy :

J’ai dit NON !

 

Scène 6 :

(La chambre d’Aymard)

 

Aymard :

Il était en forme aujourd’hui, le tonton !

Wendy :

Oui !  On a eu droit à l’adagio au complet…

Aymard :

…sur fond de reniflements de la boniche !  Tu parles d’un concert !

Wendy :

Faut la punir !  Elle n’est là que depuis deux mois et déjà, elle se plaint auprès de notre oncle !

Aymard :

Allons réfléchir dans le jacuzzi, on n’a pas encore eu le temps de se  décrasser de la journée…

 

Scène 7.

(Dans le jacuzzi)

 

Aymard :

Tu crois que l’oncle baise la boniche ?

Wendy :

Au début peut-être, pour qu’elle accepte de venir ici, mais certainement plus maintenant ! Elle fait vieille fille et puis, il doit garder son autorité sur elle…

Aymard :

Il n’est pas resté fidèle très longtemps au souvenir de sa femme, notre oncle !

Wendy :

C’est un homme, donc foncièrement volage ! 

Aymard :

Tu me trouves volage ?

Wendy :

Tu n’es pas encore un homme !

Aymard :

Ah bon ?  Tu veux voir ?

Wendy :

Un jour viendra où tu regarderas une autre fille…

Aymard :

Et toi, un autre mec !

Wendy :

Cela n’arrivera jamais !  On est trop liés, toi et moi…

Aymard :

Vrai !  Faut dire qu’on fait une belle équipe !

Wendy :

Qu’est-ce qu’on prépare maintenant pour la totoche ?

Aymard :

Je ne sais pas.  Je vais aller chez Gérard le braconnier, je trouverai bien quelque chose pour la dégoûter…

Wendy :

Oh oui ! C’est l’époque où il chasse les grenouilles pour leur arracher les cuisses…

Aymard :

…et il rejette les corps encore vivants dans les ruisseaux !

Wendy :

Trois ou quatre corps bien sanglants dans les bottes de caoutchouc qu’elle laisse dans la buanderie, ça va le faire !

Aymard :

Je cours tout de suite chez Gérard !

Wendy :

Habille-toi tout de même !

Scène 8.

(Le soir, dans la chambre d’Aymard)

 

 Aymard :      

Mes araignées !  Mes rats, mes serpents… Tout a disparu, disparu !

Wendy :

Ce n’est pas possible !  Ce n’est pas arrivé comme çà !

Aymard :

C’est la totoche !  Ce ne peut qu’être elle !

Isabella :

Exact !  C’est moi qui ai demandé que nous soyons débarrassés de ces vermines !  Jamais je n’aurais cru avoir tant de plaisir à les voir s’affoler dans leurs terrariums aspergés d’essence pour enfin périr dans les flammes !

Aymard :

Comment avez-vous pu commettre ce crime ?

Isabella :

Trouver une invasion d’araignées dans mon linge de corps a eu raison de ma tolérance !

Wendy :

De là à sacrifier ces pauvres bêtes…

Isabella :

Je vous avais prévenus, j’en ai maté des plus retors que vous !

Wendy :

Vous voulez peut-être une récompense officielle ?

Isabella :

Je l’ai déjà : votre dépit !

Aymard :

Vous êtes horrible !  Nous, on ne fait que s’amuser…

Isabella :

Eh bien, il vous faudra trouver une autre manière de vous distraire !

Aymard :

Vous êtes ignoble, monstrueuse, croyez-moi !

Wendy :

Vous allez voir ce que vous allez voir !

 

Scène 9. 

(Dans le jacuzzi)

 

Aymard :

Je devrais aller récupérer un terrarium ou l’autre…

Wendy :

Laisse tomber, on doit agir plus subtilement maintenant.

Aymard :

Mes tarentules, ma veuve noire, elles ont coûté une fortune !  Je les vengerai, sois-en sûre !

Wendy :

Pas tout de suite !  Laissons-la penser qu’elle a gagné et réfléchissons.  Comment lui porter l’estocade, à cette vache portugaise ! 

Aymard :

Elle a détruit ma collection par le feu, elle doit payer par le feu !

Wendy :

D’accord !  Pas dans l’incendie de la maison tout de même…

Aymard :

Un accident de cuisine, une électrocution, son téléphone qui explose ?

Wendy :

Prenons le temps d’y penser froidement…

Aymard :

Je t’adore de plus en plus !  Que ferais-je sans toi, mon double, mon âme…

Wendy :

On devrait impliquer notre oncle…

Aymard :

Lui ?  Comment ?  Jamais il n’acceptera d’être complice de sa révocation !

Wendy :

C’est vrai qu’il a galéré pour la trouver !  On n’est pas des anges et ça commence à se savoir, notamment au collège…

Aymard :

Comment vas-tu le mêler à notre machination ?

Wendy :

Il fume, non ?

Aymard :

Je vois…  Il faut l’amener à écraser un cigare sur le bras de la boniche !  Tu es géniale !

Wendy :

C’est l’idée mais comment ?

Aymard :

C’est un romantique, non ?

 

Scène 10.

(Dans le grand salon)

 

L’oncle :

Supprimer les élevages de mon neveu…  C’est un peu radical, ne pensez-vous pas ?

Isabella :

Vous ne devriez pas fumer comme cela !  Un cigare après l’autre !  Regardez donc !  Quelle fumée dans ce salon.…

L’oncle :

Ouvrez la fenêtre et resservez-nous un cognac !

Isabella :

Je n’aime pas ce cognac, il a un drôle de goût…

L’oncle :

Trop vieux sans doute…

Isabella :

Je ne me sens pas bien…

L’oncle :

À vrai dire, moi non plus. 

Isabella :

J’ai envie de dormir…

L’oncle :

J’ai la tête qui me tourne…

 

Scène 11 :

(Entrée de Wendy et Aymard dans le salon)

 

Wendy :

Ça y est, le GHB fait son effet, ils dorment.  Ravive un peu le cigare de l’oncle pendant que je relève sa manche.  On doit bien distinguer sa montre et sa chevalière…  Dans quelle poche a-t-il mis son GSM ?

Aymard :

Voilà, tu prends la photo ?  On reconnaît bien la patte de l’oncle ?

Weendy :

Oui, oui.  Vas-y écrase le cigare qu’il a entre les doigts sur le bras de la boniche…

Aymard :

La photo est bonne ?

Wendy :

Mais oui, t’inquiète !

Aymard :

Il n’y a plus qu’à déposer le GSM entre eux, sur le canapé.  On doit maintenant les enlacer tendrement…

Wendy :

Au tour de l’oncle avant ça.  Il faut aussi lui brûler le bras, au même endroit, cela fera comme si des gamins s’étaient échangé des vœux de fidélité éternelle…

Aymard :

Ils n’oseront jamais montrer ça !

Wendy :

C’est à espérer.  Viens, il nous reste à nettoyer les verres de cognac…

 

Scène 12. 

(Aymard dans le dortoir d’un centre pour jeunes délinquants)

 

 Aymard :

(écrivant une lettre)

Ma sœur, mon âme !

Trois mois déjà que nous sommes séparés.  Chaque jour, chaque nuit, je pense à toi, à notre douce connivence, à notre merveilleuse entente.  Ici, la vie est réglée comme dans une caserne.  Lever à l’aurore, corvées nettoyages, activités aussi diverses que la poursuite approximative d’études, du bricolage ou du sport.  Les plus chanceux peuvent faire un petit boulot intéressant comme du pliage de boîte de médicaments ou l’impression d’étiquettes…  Chouette, non ?  Au moins, ces dernières activités nous rapportent une véritable fortune comme salaire, ce qui me permettra de rembourser l’incendie du collège vers l’an 2134, au plus tôt !

Mais assez parlé de moi et de ce centre pour jeunes délinquants nécessitant un suivi psychologique !  Foutaises !

Ta famille d’accueil est-elle correcte avec toi ?  Tu ne me dis rien !  Est-ce que tu t’habitues à ton nouvel environnement campagnard ?

Personnellement, je trouve scandaleux qu’on nous empêche de terminer nos études correctement.  Donne-moi des nouvelles plus précises que celles que tu m’envoies chaque semaine.

Tu me manques, tu ne peux savoir à quel point.

Vivement nos dix-huit ans, qu’on puisse retrouver notre liberté.

Je t’embrasse le plus affectueusement possible, ton Aymard qui t’aime plus que tout !

PS : des nouvelles de l’oncle ? 

Wendy :

(répondant par une lettre)

Mon chéri,

Ne t’inquiète pas pour moi.  J’aurais pu tomber plus mal même si je suis réduite aux vaisselles et à l’entretien du potager !  Ma famille d’accueil tolère que je suive des cours par correspondance à condition que cela ne m’occupe pas plus de deux heures par jour : priorité aux corvées ménagères…

L’oncle vient de trouver dans ta cachette de la cave, la statuette en ivoire que tu as volée dans le bureau du dirlo.  Les flics l’on restituée à son propriétaire et l’oncle a été félicité !  L’assurance du collège se retourne contre nous à cause de l’incendie provoqué pour masquer le vol !  Ah, il est heureux, l’oncle !  C’est lui qui devra payer provisoirement, notre compte étant bloqué suite à notre mise à la disposition de la Justice !  Je n’espère qu’une chose, c’est qu’il ne dilapide pas notre héritage en vendant l’une ou l’autre entreprise de nos parents…

Je t’aime, oh mon frère adoré.

Ta Wendy qui se languit de te revoir bientôt.

PS : les deux malinois du directeur ont fini par mourir de leurs brûlures.  Belle idée que d’avoir amené des saucisses de Francfort.  Tu parles de chiens de garde !

 

Scène 13 :

(Au parloir du centre pour jeunes délinquants) 

 

Aymard :

Qu’est-ce que je suis heureux de te voir, mon adorée…

Tu as maigri, non ?

Wendy :

Seule fille dans une famille d’accueil qui doit vivre de ses champs, pas évident.  Regarde mes mains, moi qui n’ai jamais tenu que des couverts en argent ! 

Aymard :

Ma toute belle, si j’avais su…

Wendy :

Pourquoi tu as tout pris sur toi ?  C’est à deux qu’on a voulu se venger du dirlo qui nous a humiliés devant tout le collège pour la plaisanterie avec l’oncle et la totoche ! 

Aymard :

Tu m’as écrit que l’oncle se la tapait à nouveau…

Wendy :

Oui, je le suppose puisqu’ils dorment ensemble dans la chambre des parents, l’oncle a vendu sa maison et s’est installé chez nous !

Aymard :

Il n’en n’a pas le droit !  Il n’est que notre tuteur et doit respecter nos avoirs. 

Wendy :

Je sais, j’en ai déjà parlé à notre avocat de famille qui n’a pas paru offusqué par ce déménagement…

Aymard :

Ce connard d’avocat est le  meilleur copain de l’oncle, il va donc le défendre !

Wendy :

Je parie que dans deux ans, quand on sortira, on n’aura plus rien, ce sont des escrocs ! 

Aymard :

C’est vrai, tous ces gens travaillent en bande organisée : avocats, huissiers, juges et notaires, tous des gangsters !  Je vais demander une entrevue avec l’assistante sociale du centre, elle m’a à la bonne.

Wendy :

Vraiment ? Ce n’est pas pour ça qu’elle va nous aider.  Si elle t’apprécie tellement, son intérêt est que tu restes le plus longtemps possible ici, tu ne crois pas ?

 

Scène 14.

(L’arrière salle d’un petit bistrot minable quelques semaines après l’entrevue au parloir) 

 

 Aymard :

Raté !  Trop d’angle sur la blanche pour que ta bille rouge tombe dans la poche centrale !

Wendy :

Oh !  J’en ai assez ! Voilà des heures qu’on joue au snooker !  Où va-t-on se poser ce soir ?  J’ai les pieds en feu, mes baskets me blessent.  Regarde, j’ai des cloques, je saigne même…

Aymard :

Il n’y a pas d’Auberge de Jeunesse dans ce bled.  On va dormir dans le hall de la gare…

Wendy :

Encore ?  Je voudrais me laver.  J’ai l’impression que même un putois fuirait devant mon odeur…

Aymard :

Si c’était le cas, on ne serait pas tolérés dans ce « club »…

Wendy :

Je ne suis plus si sûre que notre fugue soit une bonne idée…  Ma famille d’accueil a déjà dû avertir les services sociaux et ta chère assistante sociale a certainement alerté la police…

Aymard :

Tu t’inquiètes pour rien…

Wendy :

On n’a plus d’argent !  Je ne sais même pas comment on va payer ici !

Aymard :

On ne peut pas rentrer chez nous, les flics doivent nous y attendre…

Wendy :

Et on n’a plus de cartes bancaires pour retirer de l’argent…

Aymard :

De toute façon, si on les avait encore, on serait vite repérés…

Wendy :

Qu’est-ce qu’on peut faire à présent ?

Aymard :

Tu vois le mec au bar ?  Il a posé ses clefs et son portefeuille sur le comptoir…

Wendy :

Compris !  Je le distrais pendant que tu chouraves le tout et on disparait par l’arrière…

Aymard :

Tu es géniale, je n’ai même pas à expliquer !  Action !

 

Scène 15.

(Devant un distributeur Bancontact)

 

Wendy :

Nous avons ses cartes, mais pas son code de retrait…

Aymard :

On a droit à trois essais avant que la carte soit avalée.  Si le pigeon est un peu con, son code doit être 1, 2, 3, 4 !

Wendy :

Faut encore qu’il soit bête pour que cela soit aussi simple…

Aymard :

Bingo !  Du premier coup !  Je retire combien ?

Wendy :

Essaye le maximum autorisé par semaine et filons faire la même chose dans une autre banque.  Avec un peu de chance, il n’aura pas encore eu le temps de bloquer ses cartes …

 

Scène 16.

(Salon de la villa des jumeaux)

 

L’oncle :

Ils m’auront emmerdé jusqu’au bout ces deux-là !  Les services sociaux, la police, pourquoi pas l’armée tant qu’on y est !

Isabella :

Calme-toi, meu coraça᷉o, ce sont encore des gosses.  Où veux-tu qu’ils aillent ?  Tôt ou tard, ils seront sur le perron !

L’oncle :

Et nous à la porte !  On n’est ici que pour sauvegarder leur héritage…

Isabella :

Ils ne sont pas encore là, pas la peine de mettre la charrue devant le bœuf !

L’oncle :

Avant les bœufs !  Tu as raison.  Tentons de les faire passer pour des débiles dangereux.  Ils le sont d’ailleurs, non ?

Isabella :

Celles qui m’ont précédée en témoigneront certainement, tout comme le directeur du collège et le garçon qu’Aymard a éborgné dans le centre de détention !

 

Scène 17 :

(au Bancontact)

 

Wendy :

Attention, un gardien !

(Le gardien surprend les deux jeunes et ne s’attend pas à ce que le garçon lui saute au cou et l’étrangle brutalement)

Wendy :

Tu es fou !  Où as-tu appris ça ? 

Aymard :

On apprend de tout pendant une réclusion !

Wendy :

Je ne te reconnais plus !  Ce n’est plus très amusant !  Cette fois-ci, on va le payer cher, crois-moi !

Aymard :

Faut encore régler son compte à l’oncle et vendre la maison.  Après-ça, on aura les moyens de filler au Brésil et nous recommencerons une vie sans surveillance constante…

Wendy :

Tu rêves, Aymard, tu rêves !

Aymard :

Il est trop tard pour se rendre, maintenant !  On est condamnés à fuir éternellement !

Wendy :

On sera rattrapés avant peu, j’en suis sûre et cette fois ta gueule d’ange n’aidera en rien auprès d’une assistante sociale ou d’un juge…

Aymard :

On s’en est bien tirés jusqu’à présent, non ?

Wendy :

Mais tuer…

Aymard :

J’ai simplement tapé un peu trop fort, c’est tout !  C’est un accident !

  

Scène 18. 

(Le salon de la villa)

 

L’oncle :

Aux dernières nouvelles, le vigile de la banque s’en tire avec un larynx écrasé et quelques semaines de revalidation !

Isabella :

Le pire a été évité, Santa Ma᷉o de Deus, merci !

L’oncle :

Mais eux, ils restent introuvables.… Où peuvent-ils se terrer ?

Isabella :

Tant que c’est loin d’ici…

L’oncle :

Qu’est-ce qui va encore nous tomber dessus…

Isabella :

L’autre nuit, j’ai cru apercevoir une brève lueur dans la cabane de l’ancien poulailler…

L’oncle :

C’est maintenant que tu en parles ?

Isabella :

Sans doute un SDF qui fume une cigarette.  Ce ne sera pas la première fois que ce taudis en accueille un !

L’oncle :

Imagine qu’il boute le feu à cette cahute sous les arbres !  Il faut nous débarrasser de cette ruine qui ne sert plus à rien…

Isabella :

Il y a encore quelques vieilles poules abandonnées qui s’y abritent toujours…

 

Scène 19 :      

(Dans le poulailler)

 

Wendy :

Encore gober des œufs crus …  Cela devient écœurant, tu ne trouves pas ?  Et puis, j’en ai assez d’être dans le noir et de l’odeur de ce cagibi !

Aymard :

Heureusement que l’odeur du shit masque un peu cette merde !

Wendy :

Je te signale qu’on fume notre dernier joint…  Le pacson est vide !

Aymard :

On va sortir demain.  On en trouvera du côté du collège…

Wendy :

Nous serons immédiatement reconnus !  T’es con ou quoi ?

Aymard :

Toujours à récriminer !  Un peu d’optimisme que diable !

Wendy :

À force de le taquiner, ce diable, il finira par nous perdre !  Notre photo doit être partout !

Aymard :

Allons voir ailleurs…

Wendy :

Où ?  Avec quel argent ?  On n’a de nouveau plus rien…

Aymard :

Gérard ! Gérard le braconnier !  Il nous a déjà aidé plus d’une fois…

Wendy :

Ce crapuleux nous dénoncera illico !

Aymard :

Cela m’étonnerait !  On connait tous ses trafics.  Il n’osera pas, il a trop à perdre…

Wendy :

Il n’a jamais rien fait gracieusement…

Aymard :

C’est vrai…  Mais, regarde un peu ta main gauche…

Wendy :

Comment ?  Oh non, la bague de maman !

Aymard :

Une aigue-marine, c’est une pierre précieuse, non ?

Wendy :

Elle ne fait pas partie des quatre pierres vraiment  précieuses comme le diamant, le saphir, le rubis ou l’émeraude !  Tu le sais tout de même…

Aymard :

On en tirera bien quelque chose…

Wendy :

C’est mon seul souvenir de maman !  Je ne m’en séparerai jamais, jamais, tu entends ? 

Aymard :

Reste moisir ici si c’est ce que tu veux !  Moi, je me taille dès le coucher de soleil complet !

Wendy :

Encore un coup de folie !  Cette fois, je ne te suis pas et je ne donne pas la bague de maman, compris ?

Aymard :

Alors, on doit entrer dans la maison !

Wendy :

« Bonjour !  On vient se cacher ici et prendre un peu d’argent mais ne changez pas vos habitudes, il ne faut pas que les gens se doutent de quelque chose ! ».  Tu crois que ça peut marcher ?  C’est ridicule, insensé !

Aymard :

Je pensais profiter de leur absence.  Ils doivent bien remplir le frigo de temps en temps ! Le vasistas de la cave à vin est toujours ouvert… 

Wendy :

Ils verront tout de suite qu’on est passés !

Aymard :

J’espère bien !  Faut leur ficher la trouille, à ces pique-assiettes…

Wendy :

Et les gendarmes seront là dans le quart d’heure !

Aymard :

Qu’est-ce que tu proposes à la fin ?

Wendy :

On ne peut plus continuer comme ça !

Aymard :

Bien d’accord !

Wendy :

Ayons une explication avec l’oncle !

Aymard :

Cette fois, c’est toi qui es folle !  Il va tout de suite nous piéger, c’est certain !

Wendy :

J’ai l’idée d’un accord à lui proposer, écoute-moi…

 

Scène 20.

(Le salon de la villa)

 

L’oncle :

La cabane sera rasée demain matin !  Fini les clandestins et le risque d’incendie…

Isabella :

J’ai comme un mauvais pressentiment.  Que Deus nos proteja !

 

Scène 21.

(Le lendemain dans le salon de la villa)

 

L’oncle :

Votre grand-père ne m’appréciait guère, c’est de notoriété publique !  Votre mère, ma sœur, a hérité du domaine entier et je n’ai eu que l’usufruit de l’oliveraie !  À votre tour, vous avez hérité de tout le patrimoine et rien n’a changé pour moi…

Wendy :

L’usufruit de l’oliveraie rapporte pas mal, si j’en crois les comptes annuels…

L’oncle :

C’est bien moins que ce que rapportent les autres plantations, si j’en crois les comptes annuels !

Aymard :

Nos parents l’ont voulu ainsi et n’ont fait que perpétuer les dernières volontés de Grand-père !

Wendy :

Et aujourd’hui, contre leur volonté, nous vous offrons la pleine jouissance de l’oliveraie en échange de notre émancipation.  C’est à prendre ou à laisser !

Aymard :

Ça augmente votre part d’héritage, c’est ce que vous voulez, non ?

L’oncle :

Vous ne croyez tout de même pas que cet arrangement vous blanchira de vos crapuleries ?  Vous n’êtes pas naïfs à ce point.

Aymard :

Que faites-vous Isabella ?  Où allez-vous ?

Isabella :

Chercher à boire…

Aymard :

Restez ici, vous n’appellerez personne, compris ?  Wendy, va chercher le fusil de Grand-Père.  La clé de la vitrine aux armes est dans le tiroir gauche de son bureau, avec les cartouches…

Wendy :

Est-ce bien nécessaire ?

L’oncle :

Pas de bêtise, Aymard !  Ne commettez pas l’irréparable.  Vous y avez échappé de justesse avec l’agression du vigile de la banque…

Aymard :

Le vigile, c’était un accident !  Vous ne risquez rien si vous vous tenez tranquilles, compris Isabella ?

Wendy :

Tiens, prends !  L’arme est encore chargée par Grand-Père lui-même.  Sois prudent Aymard.  Je t’en supplie !

Aymard :

Alors, mon oncle, que décidez-vous ?  L’oliveraie et notre émancipation ou… ne plus rester notre tuteur que pour deux ans ?  Vous aurez de toute façon des comptes à rendre sur la gestion de nos biens et on ne laissera rien passer, croyez-moi.

Wendy :

Soyez raisonnable, mon oncle…

L’oncle :

Sous la menace, jamais !  Donnez-moi ce fusil !

Aymard :

Venez le chercher, si vous l’osez !

Isabella :

Santa Ma᷉o de Deus !  Ça va mal finir, je le sens !

 

Scène 22.

L’oncle s’avance, saisit le canon du fusil, le coup part et la balle atteint Wendy en plein front.

 

Aymard :

Regardez ce que vous avez fait !  Assassin !  Assassin !  Wendy, ma Wendy.  Oh mon Dieu, qu’est-ce que je dois faire ?  Une ambulance, appelez une ambulance, vite, une ambulance.  Elle saigne, regardez comme elle saigne, c’est affreux !  Et ce trou dans sa tête, oh mon Dieu, ce trou qui saigne !  Arrêtez ça, mais arrêtez ça, elle perd tout son sang, c’est horrible !  Qu’est-ce que vous avez fait mais qu’est-ce que vous avez fait !  Bougez-vous, mais remuez-vous, faites quelque chose, on ne peut pas la laisser comme ça…

Isabella :

Pauvre fille.  Que Deus lui pardonne et l’accueille au Paradis !  J’ai appelé la police…

L’oncle :

Et les secours, tu as appelé les secours ?

Isabella :

La police les avertit automatiquement, non ?

 

Scène 23.

 

Isabella :

Meu coraca᷉o !  Qu’est-ce qui t’arrive ?  Tu es tout blanc !  Tu trembles, assieds-toi, donne-moi ce fusil.

L’oncle :

Ce n’est rien.  L’émotion…  J’ai du mal à respirer !

Isabella :

Ouvre ton col, je vais t’aider…

L’oncle :

Arrête !  Tu me fais mal, j’ai un poids sur la poitrine, je ne sens plus mon bras gauche…

Isabella :

Bom Deus !  Tu fais un infractous cardiaco !

L’oncle :

Un infarctus !  Un infar ! Ah que c’est agaçant cet accent portugais quand tu t’énerves !  Quand donc t’en débarrasseras-tu ?

Isabella :

Calme-toi, meu coraca᷉o !  J’entends les sirènes de la police…

L’oncle :

Les secours, j’espère. Oh les secours, vite, les secours, je me sens de plus en plus mal ! 

Aymard :

Wendy, elle ne respire plus !  Vous l’avez tuée !  Wendy, qu’est-ce que je vais devenir sans toi ?  J’ai besoin de toi, tu entends, j’ai besoin de toi !  Reviens, je t’en supplie…

 

Scène 24.

Centre de détention pour mineurs. En compagnie de quelques matons, l’oncle assiste à la prise d’écrou d’Aymard …

 

Aymard :

Pas mes cheveux, non, pas mes cheveux !

L’oncle :

Pleurnichard, on dirait un gamin de six ans !  La tête rasée, c’est pour éviter les poux, cher Aymard.  Paraît qu‘ils pullulent dans ce genre d’endroit…

Aymard :

Je vous hais !  Que n’êtes-vous resté dans votre crise cardiaque !

L’oncle :

« Deus » sait choisir les siens, comme dirait Isabella !

Aymard :

Je n’ai même pas pu aller à l’enterrement de ma sœur !

L’oncle :

De toute façon, elle n’en aurait jamais rien su !

Aymard se saisit brusquement des ciseaux du coiffeur et s’ouvre les veines frénétiquement.  Le sang jaillit partout et le garçon se rue ensuite vers la vitre qui le sépare de son oncle pour la maculer de son sang…

Aymard :

Salaud, salaud !  Tu crois avoir gagné mais je saurai me venger, dix-mille fois, dix-mille fois !

L’oncle :

Quelle sauvagerie !  C’est bien, le juge de la jeunesse en tiendra compte.  Il y a de nombreux témoins à présents !

 

Scène 25.

Aymard, seul dans la cellule de soins du centre de détention…

 

Aymard :

Wendy, ma belle, ma tourterelle, morte !  Que ne suis-je mort avec toi !  Tout a mal tourné depuis ce stupide accident de voiture qui nous a privés de nos parents.  Comme je comprends leur méfiance vis-à-vis de notre oncle.  Ils avaient bien raison, Grand-Père et les parents.  C’est un sale type, une crapule.  Mais il n’a pas encore gagné !  Tant qu’il me restera une seconde de vie, je me battrai pour l’honneur de notre famille, notre honneur, Wendy, le tien et le mien !

Que va-t-on faire de moi, maintenant ?  Ils ne peuvent tout de même pas me garder indéfiniment. 

De toute façon l’oncle ne peut rien vendre, c’est nous, c’est moi le seul propriétaire du  domaine…  Je ne m’habituerai jamais à dire « moi » au lieu de « nous », Wendy !

En délire fiévreux…

Mon amour, où est tu ?  J’ai besoin de toi, du bleu de tes yeux !

Wendy :

Je suis là, mon cœur, comme toujours à côté de toi.

Aymard :

Dis-moi, dis-moi, je t’en supplie, comment punir notre oncle et sa pute !

Wendy :

Patience mon Aymard, personne ne peut échapper à son destin.

Aymard :

Mais l’oncle, que puis-je faire ?

Wendy :

Il ne profitera pas longtemps de son avantage !

Aymard :

Il ne va tout de même pas hériter de notre domaine ?

Wendy :

Tu oublies Isabella !  Elle est maligne, elle va le rouler, l’idiot…

Elle a réussi à se faire épouser sans contrat !

Aymard :

Il n’a tout de même pas déjà hérité ?  Je suis toujours vivant !

 

Scène 26.

(Le salon de la villa)

 

Isabella :

J’ai pitié d’Aymard.  Il est complètement déboussolé depuis la mort de ses parents et celle de sa sœur n’arrange rien.  On ne peut pas lui en vouloir…

L’oncle :

C’est toi qui dis cela ?  Après ce qu’ils t’ont fait ?  Comme à tes prédécesseurs ?

Isabella :

Il n’y a que quelqu’un de profondément malheureux qui agit comme ça.

L’oncle :

C’est maintenant que tu t’en rends compte ?  La belle affaire !

Isabella :

Tout va sans doute te revenir puisqu’Aymard est privé de liberté pour longtemps.

On pourrait revoir notre accord, non ?

L’oncle :

Comment ?  Je t’ai épousée.  Tu as un bon salaire et tu es logée et nourrie !

Isabella :

J’ai tout de même un peu exagéré mon témoignage au tribunal, cela se paie, je crois…

L’oncle :

Exagéré ?  Si peu !

Isabella :

Je demande l’oliveraie puisque tu vas disposer de tout le reste !

L’oncle :

Mais nous sommes mariés en communauté des biens, donc tout nous revient à tous deux.

Isabella :

Oui, mais je veux être la seule propriétaire de l’oliveraie !

L’oncle :

Suis-je donc condamné à toujours être roulé dans la vie ?

Isabella :

Oh corac᷉ao, tu ne vaux pas plus que celui qui reste de ta famille !

 

Scène 27.

Parloir du centre de détention pour jeunes délinquants violents.

 

Aymard :

Un mois d’isolement pour deux coups de pied bien placés !

Je n’ai même pas pu voir mon nouvel avocat.  Heureusement qu’on avait eu le temps de prendre certaines dispositions…

Ah, je l’ai mis dans un drôle d’état, ce maton.  On ne risque pas de le revoir de sitôt rôder dans les douches !  Vouloir me tripoter, non mais !  Il paraît que j’ai massacré ses roubignoles !  Il est à l’hôpital pour un bon bout de temps, celui-là…

Isabella :

Monsieur Aymard, depuis la mort de votre oncle qui a eu une nouvelle attaque cardiaque, je n’ai plus aucun revenu.

Aymard :

Vous avez hérité, je suppose…

Isabella :

Il n’avait rien mit de côté.  Il dépensait tout et je me retrouve même avec ses dettes.  Vous devez m’aider, monsieur Aymard.        

Aymard :

Vous n’êtes pas vite gênée, la totoche !  Cherchez du travail !  Du vrai, cela vous changera de ce que vous avez fait jusqu’à présent !

Isabella :

Un huissier m’a signifiée de quitter le domaine endéans les trois mois !  Que vais-je devenir ?

Aymard :

Je m’en moque !  Notre nouvel avocat suit nos instructions.  « Nos instructions », je parle encore comme si Wendy était toujours là…

Isabella :

La pauvre fille !  C’est de votre faute aussi…

Aymard :

Ne parlez pas d’elle !

Isabella :

Votre palmarès à tous deux était déjà bien chargé quand votre oncle m’a engagée !

Aymard :

Vous êtes venue pour nous juger à nouveau ?  Retournez d’où vous venez !  Vous n’avez rien à attendre de moi !

Isabella :

Vous êtes très dur, monsieur Aymard…

Aymard :

Et vous, vous êtes très stupide de croire que je pourrais vous aider !  Disparaissez !

 

Scène 28.

Aymard seul dans sa cellule, la nuit…

 

Aymard :

J’en ai marre de cette grisaille.  Voilà plus d’une semaine qu’il pleut.  Je n’ai même pas eu mon préau quotidien.

Cet enfermement commence à me taper sur les nerfs.

Si au moins Wendy était à mes côtés.

Peu importait la météo, on ne s’ennuyait jamais ensemble.

Oh ma Wendy, je ne vis plus sans toi.

Même quand je me branle en pensant à toi, je n’ai plus de plaisir.  Je voudrais tellement me réfugier à nouveau entre tes bras, sentir ton ventre palpiter, voir tes yeux chavirer.

Ce rêve est devenu un cauchemar.

Je n’en dors plus la nuit. 

Ma seule compagne est une mouche.  Je laisse du sucre sur la tablette de la fenêtre grillagée.  Parfois, elle vient avec une copine ou deux et pendant quelques secondes, observant leur manège, je parviens à taire mon obsession de toi.

Mais très vite, ton souvenir me rappelle à l’ordre et je me reprends à te parler, encore, toujours…

Je sais que tu es là !

Dans ma grisaille, toutes les mouches du monde ne pourraient me distraire de toi.

Mon aimée, mon adorée, plus rien ne m’intéresse.

On me propose des ateliers créatifs ou de réinsertion sociale.  Qu’ils aillent se faire foutre !

Plus rien n’a de sens pour moi puisque tu n’es plus à mes côtés.

Je n’ai plus envie de rien.

Je ne mange plus.  D’ailleurs je n’ai plus de fourchette ou de couteau.  Retirés par la sécurité !  Je n’ai plus qu’une cuiller...

Ils ont peur que je me laisse aller, que j’envisage une fin…

La fin de quoi ?

De notre histoire ?  Jamais !

Notre amour est éternel et je ne regrette rien.

Si, une chose !  Pourquoi t’ai-je demandé le fusil de Grand-Père ?

Pour le reste, on s’est bien amusés, non ?

 

Scène 29.

Aymard git sur le sol, il s’est ouvert la gorge avec la cuiller cassée en deux !

 

Aymard :

Que ça dure longtemps !  J’ai l’impression d’être sur ce sol depuis des heures.

Que de sang aussi !  Pourvu qu’il ne passe pas sous la porte et alerte les matons de garde…

Ouvre-moi tes bras, ma Wendy.  J’arrive ma Wendy, j’arrive…

Mon regard se trouble…

Je ne maîtrise plus mes membres...

Je m’endors sans plaisir, sans joie…

Des milliers de mouches m’entourent comme si elles voulaient m’emmener loin d’ici, loin, vers toi…

 

Jan Machielsen

Octobre 2023-mai 2024